Installée depuis 53 ans à la Montagne-Verte, la communauté Emmaüs Strasbourg est un lieu de convivialité et de partage. Bénévoles et clients viennent de toute l’agglomération.
Cadeaux suspendus au plafond, calendriers de l’Avent exposés, décorations de Noël en vente spéciale : l'Emmaüs de la Montagne-Verte est en effervescence à l’approche des fêtes. En retrait de la route de Schirmeck, au bout du chemin de la Holtzmatt, la communauté fait office d’atelier du père Noël. Dans les rayons, les bénévoles s'affairent pour faire face à l’afflux de clients.
"De toute façon, toi tu viens que pour draguer", s'amuse Catherine. Lunettes assorties à ses cheveux rouges coupés au carré, elle passe son jeudi après-midi derrière le comptoir du rayon décorations de Noël à batifoler avec Yves. Cet ancien banquier maintenant retraité a rejoint la communauté Emmaüs de la Montagne-Verte en tant que bénévole en août 2023, en même temps qu’elle. "Je viens généralement un jour ou un jour et demi par semaine, le jeudi et parfois le samedi aussi", précise Catherine, qui habite à Lingolsheim. "Le matin, on trie la vaisselle et l’après-midi, on est dans l’espace de vente, tandis que d’autres bénévoles trient les jouets derrière." Ce n’est pas sa première expérience dans le bénévolat. Avant Emmaüs, elle participait aux actions d’une association de don du sang. "On fait aussi de la mise en place", ajoute Yves avant d’être coupé par une cliente qui lui demande le prix d’un calendrier de l’Avent en bois. "C’est cinq euros, madame." "Non, c’est six !", le corrige Catherine toujours en riant. Ils ne se connaissaient pas avant d'atterrir à Emmaüs. Depuis, le binôme forme un duo indissociable.
© Jeanne Paumier et Iris Pavie
En novembre et décembre, au-delà des guirlandes et des couronnes, les jouets aussi ont la cote. Et ça, c’est le terrain de Francine. Originaire d'Illkirch-Graffenstaden, elle est bénévole depuis cinq ans. Après des expériences à la Croix-Rouge et aux Enfants de Hautepierre, c’est à Emmaüs qu’elle a trouvé son bonheur. "C’est un peu un microcosme de la société, il faut s’adapter à chacun", déclare-t-elle. Intégrer la communauté lui a permis de rester active une fois à la retraite. Depuis la salle de vente, elle appelle Fabienne, une des dernières arrivées, avec qui elle trie les jouets. "Je suis rentrée grâce à une amie et maintenant je viens une fois par semaine", déclare Fabienne.
"Est-ce que vous savez ce que ça veut dire Emmaüs ? Ça veut dire espoir en hébreu", confie Marcel d’une voix chevrotante. Du haut de ses 80 ans, dont 17 comme bénévole à la Montagne-Verte, il connaît le lieu comme personne. Il s’investit aux côtés de son épouse et de sa fille, Stéphanie, et n’est pas prêt de s’arrêter. "C’est moi qui m’occupe de tout ce qui est vente de collections, comme des timbres, ce genre de choses. Il y a une ou deux ventes exceptionnelles comme celle-là organisées par an", précise-t-il. Mais Marcel ne fait pas que ça. En tant qu’ancien président des bénévoles, c’est lui qui est chargé de faire passer un entretien aux nouvelles recrues pour s’assurer que chacun respecte les valeurs de la communauté : accueil, travail, développement durable, solidarité. "Aujourd’hui, il y a 50 personnes qui sont bénévoles à Emmaüs, et environ 25 qui sont actifs", précise Marcel. Pour lui, Emmaüs est un lieu de vie autant qu’un espace de vente. "Ça remplace le bistrot. Les gens viennent pour discuter dans un canap’. Ça rompt la solitude des gens qui sont seuls à la maison." Néanmoins, Marcel regrette qu’il n’y ait pas plus d’habitants du quartier de la Montagne-Verte parmi les bénévoles.
Entre 4 000 et 5 000 personnes viennent chaque semaine au Emmaüs de la Montagne-Verte. Il est d’autant plus fréquenté à la période de Noël. © Jeanne Paumier
© Jeanne Paumier et Iris Pavie
Dans la salle de vente de vêtements et de bijoux, Stéphanie, la fille de Marcel, est très sollicitée. Elle répond en anglais aux questions d’un premier client, tout en gérant un second qui marchande : "Je ne peux pas changer le prix, mais je vais demander", répond-elle à propos d’une valise qui a du mal à s’ouvrir. Ici, peu importe les saisons, il y a toujours du monde. Cela fait maintenant quatre ans qu’elle vient aider un ou deux samedis par mois. "Un jour, je suis venue comme cliente et ils avaient besoin d’aide car il y avait beaucoup de monde. Alors je suis allée trier des jouets et des vêtements. Depuis, je ne suis jamais repartie", explique Stéphanie. "On vient avec le sourire, déclare-t-elle. L’ambiance, ici, est plutôt bonne."
Au-delà des valeurs, ce qui séduit autant les bénévoles au Emmaüs de la Montagne-Verte, ce sont les moments de partage. Pot après l’assemblée générale, galette des rois, sorties au restaurant, ces événements créent une véritable cohésion entre les membres de la communauté. Il y a aussi le marché de Noël du centre-ville où tous les bénévoles ont l’occasion de se rencontrer au chalet d’Emmaüs dans le Village du Partage.
Jeanne Paumier et Iris Pavie
Un lieu d’insertion sociale
En plus des 50 bénévoles au Emmaüs de la Montagne-Verte, le site fonctionne principalement grâce aux compagnons qui y vivent. "On en accueille 55, qui sont nourris et logés sur place", déclare Dominique Freund, le directeur. Un statut particulier qui permet aux personnes en rupture avec la société de retrouver un lien social. Les compagnons viennent d’eux-mêmes, personne ne va les chercher dans la rue, insiste le directeur. Un lieu d’accueil unique et particulier : "Emmaüs est là pour répondre à une grande précarité. Les gens qui viennent n’ont plus confiance dans les institutions."
Mais intégrer la communauté exige aussi une contrepartie. "Les compagnons peuvent rester autant de temps qu’ils le souhaitent, du moment qu’ils respectent nos règles communautaires. Sinon, ils doivent partir", ajoute Dominique Freund. En échange de cet accueil, les compagnons doivent accorder 40 heures de travail (vente, recyclage et entretien des jardins) au sein de la communauté pour subvenir aux besoins. Emmaüs ne touche pas de subventions et vit seulement des revenus de la vente d’objets.