À la Montagne-Verte, les espaces naturels, fragiles refuges pour la faune, sont soumis à une forte pression humaine. Des couloirs de végétation limitent l’impact des infrastructures de transport qui fragmentent ces sites précieux.
À la frontière sud de la Montagne-Verte, adossé à la rue René Laennec, un filet d’eau claire s’écoule lentement sous les saules. L’Ostwaldergraben, mince affluent de l’Ill, creuse son lit dans une tranchée verte de 600 mètres sur 50. À l’aval, là où l’eau glisse sous un pont de briques, le béton remplace la terre. La rue d’Ostwald crache son flot de voitures, bus et tramways.
Il a longtemps été impossible ici pour la faune de franchir la chaussée, identifiée par la Ville de Strasbourg comme point noir pour le passage des espèces. La rue, avec ses deux voies de circulation automobile et les rails du tramway, représente une rupture dans la continuité écologique formée par le canal, lien ténu entre deux zones humides de l’Eurométropole (EMS), les étangs du Bohrie et du Gérig.
En 2012, l’EMS lance des travaux de renaturation de l’Ostwaldergraben. Sous les lignes électriques qui bordent le ruisseau, on creuse des mares.
Un canard colvert femelle sur l’Ill. © Titouan Catel--Daronnat
Une centaine d'espèces d'animaux trouvent refuge dans le quartier, dont le ragondin. © Kim Du
Au niveau du pont de la rue d’Ostwald, on pose des banquettes pour faciliter le passage à sec des animaux. But de la manœuvre, achevée en 2015 : redonner au cours d’eau envasé et pollué par les rejets des anciennes tanneries sa fonction de corridor écologique. Un compromis entre coassements et pots d’échappement a été trouvé.
C’est le crapaud vert, placé sur la liste rouge des espèces menacées d’Alsace, qui motive le chantier. "L’Ostwaldergraben permet aux crapauds verts de se déplacer entre les deux étangs", qui forment leurs principaux sites de reproduction dans la métropole, précise Corentin Calvez, chargé de mission trame verte et bleue* chez Alsace Nature. Une migration cruciale "pour que les groupes se croisent et augmentent leur diversité génétique pour perdurer dans le temps". En 2013, 20 individus sont observés sur le site jusqu’ici impraticable, soit plus du quart de la population totale de crapauds verts d’Ostwald recensée en 2011.
Pas de montagne mais du vert
La richesse écologique du quartier ne s’arrête pas à cet étroit bras de terre et d’eau corseté par le béton. La Montagne-Verte est traversée par deux autres corridors écologiques d’importance régionale, l’Ill et la Bruche. Hérons cendrés, martins-pêcheurs, ragondins, libellules et demoiselles : une centaine d’espèces animales y trouvent refuge, au cœur d’une agglomération de 520 000 habitants. "Pour les espèces qui utilisent ces cours d’eau, rappelle Corentin Calvez, il est important de veiller à ce que ces milieux soient le moins impactés possible." Une approche que tente de suivre le Parc naturel urbain (PNU), incluant une partie du quartier. Béatrice Pipart, référente du PNU pour l’EMS, le revendique : "Ce n’est pas le grand parc de l’Orangerie, tout propre et tout fleuri. On préfère garder un aspect sauvage. Le PNU, ça se parcourt avec des bottes."
Aux abords de ces espaces naturels, les axes de transport participent à la fragmentation des habitats, première cause du déclin des espèces à l’échelle mondiale selon l’IPBES, le groupement international des experts de la biodiversité. "Les ponts et les routes ont été réalisés à une période où la trame verte et bleue n’était pas un sujet central", ajoute Corentin Calvez, en pointant sur une carte du quartier les points de conflit entre espaces naturels et axes de transport.
Carte des points de conflit entre des infrastructures de transport et des couloirs de biodiversité dans le quartier de la Montagne-Verte. © Titouan Castel--Daronnat et Kim Du
Un secteur retient l’attention : la M35. À l’extrémité est du quartier, elle crée "une discontinuité écologique importante parce qu’il n’y a pas de chemin pour que la faune puisse se déplacer. Si on rentre dans la peau d’un animal, on arrive sur un mur". Même constat à l’ouest, aux croisements de la Bruche avec la voie ferrée et la route de Schirmeck et ses 21 000 véhicules par jour. Ce niveau de circulation constitue une “barrière infranchissable” pour la faune selon la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal).
Silence, ça poussera
Dans ce contexte, la végétation urbaine est cruciale pour la survie de la faune : "Le plus intéressant ici c’est la ripisylve, les arbres qui bordent les cours d’eau, rappelle l’écologue Jean-Claude Génot. Cette mini-forêt linéaire permet aux oiseaux de nicher, à certaines espèces comme l’écureuil de se déplacer à l’abri des regards même en pleine ville."
En plus de la ripisylve de l’Ill et de la Bruche, talus et rangées d’arbres sont autant d’espaces de vie à conserver le long des voies ferrées ou au pied de la M35 : "Les ronciers sont vus comme des endroits délaissés, avance Corentin Calvez. Pourtant ce sont des milieux très intéressants pour plein d’espèces." Jean-Claude Génot le rejoint : "Si seulement on laissait de la place à la végétation… Sur des piles de pont en béton, on pourrait laisser pousser du lierre."
C’est "la manière d’être en rapport avec sa ville qui est en jeu, médite Béatrice Pipart. La société est en train de muter, on devient des vivants parmi les vivants, pas des Hommes face à la nature."
Titouan Catel--Daronnant et Kim Du
* La trame verte et bleue (TVB) est un réseau de continuités écologiques terrestres et aquatiques, formé de réservoirs de biodiversité reliés par des corridors écologiques. Prise en compte dans l’aménagement du territoire, elle vise à préserver et restaurer les milieux naturels.